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« La collaboration interprofessionnelle oblige à clarifier les compétences et les responsabilités. »

Édition n° 115
Jan.. 2017
Prévention dans le domaine des soins

Interprofessionnalité. L’interprofessionnalité jouera à l’avenir un grand rôle dans la prévention et les soins de santé. Claudia Galli, présidente de la Fédération suisse des associations professionnelles du domaine de la santé, nous donne le point de vue des professionnels de la santé.

Pourquoi cette approche n’a-t-elle pas été adoptée plus tôt par notre système de santé ? Quels sont les obstacles qui subsistent ?

L’interprofessionnalité est à la mode. Une mode qu’il vaut la peine de suivre ! L’évolution démographique, avec la multiplication des maladies chroniques et le vieillissement de la population, conjuguée à la grave pénurie de professionnels, oblige la branche de la santé à chercher de nouveaux modèles de collaboration et de partage des tâches. La stratégie Santé2020 de la Confédération, comme toutes les stratégies nationales qui en découlent, prévoit une coordination plus ou moins poussée des soins et fait avancer cette idée d’interprofessionnalité. Déjà, le débat sur le Managed Care avait amené les gens à penser davantage en termes de réseaux. Mais cette évolution était à l’origine très axée sur l’interdisciplinarité, c’est-à-dire la collaboration entre spécialistes de la même profession. Dans le secteur ambulatoire, p. ex., on a vu apparaître d’abord des réseaux de médecins. Ce n’est que depuis quelques années que l’on met l’accent sur l’interprofessionnalité, autrement dit sur le fait que plusieurs personnes exerçant des professions différentes, mais aussi les patients, leurs proches et le réseau local, travaillent ensemble.1

La collaboration interprofessionnelle est particulièrement importante dans les situations de soins délicates, où un groupe professionnel ne dispose pas ou plus de toute l’expertise nécessaire pour répondre seul à des besoins complexes. Mais elle est davantage qu’une simple juxtaposition de groupes professionnels soignant le même patient. Dans une équipe qui a l’habitude d’échanger et vise les mêmes objectifs, des cultures professionnelles différentes s’opposent. Chacun, dans son travail, doit réfléchir à ce qu’il tient pour acquis, remettre en question les structures hiérarchiques existantes, découvrir les capacités des autres groupes, les respecter et en faire usage de manière judicieuse dans l’intérêt de la personne concernée. Pour cela, il faut du temps. Les obstacles ne sont pas que dans la tête puisque le principal écueil est le manque de financement : la coordination, les échanges, la mise sur pied et le développement d’une nouvelle forme de collaboration ne sont pas (encore) rémunérés, notamment dans le secteur ambulatoire. Un autre frein à l’introduction de l’interprofessionnalité est la segmentation de la formation. Il existe des modules interprofessionnels dans les hautes écoles spécialisées et quelques projets de formation continue avec des facultés de médecine, dans lesquels on apprend de plus en plus à travailler ensemble sur des cas, mais les frontières entre écoles supérieures, HES et universités n’ont pas disparu. Ancrer l’interprofessionnalité dans l’identité professionnelle du personnel de santé serait très utile. La loi sur les professions de la santé a d’ailleurs inscrit cette idée dans les compétences finales exigées pour obtenir un diplôme d’une HES.

L’interprofessionnalité signifie aussi que davantage de personnes travaillent pour le bien du patient. Cela ne va-t-il pas entraîner une augmentation des coûts, voire nuire au patient ?

Trop de cuisiniers gâtent la sauce... Je peux comprendre cette inquiétude. Mais c’est justement quand la coordination ne fait pas partie du quotidien que la charge de travail et le taux d’erreurs augmentent. La collaboration interprofessionnelle oblige à clarifier les compétences et les responsabilités, à faire en sorte que la communication entre les professionnels concernés fonctionne et à mettre ses capacités au service du patient, d’une manière optimale et coordonnée. Au début, cela prend du temps et, par conséquent, coûte de l’argent. Mais le jeu en vaut la chandelle, car toutes les parties y gagnent : la qualité et la continuité des soins s’améliorent, les tâches sont coordonnées et la satisfaction des intéressés s’accroît. Parallèlement, les coûts peuvent être mieux maîtrisés.2

À quoi faut-il veiller particulièrement dans une équipe interprofessionnelle ?

Les principaux facteurs sont de mieux en mieux définis. Le « setting » soutient une collaboration interprofessionnelle souhaitée et encouragée par le haut, à laquelle suffisamment de temps est consacré. Le facteur « responsabilité » et les compétences sont clairement déterminés. Un « leadership » clair est instauré, qui respecte les spécificités de chaque groupe professionnel tout en visant une culture commune de collaboration. Enfin, la « communication » transparente et respectueuse constitue un facteur-clé de la réussite.3

Y a-t-il des domaines des soins dans lesquels cette approche fonctionne particulièrement bien ?

En réadaptation et en soins palliatifs, vu la complexité des situations dans lesquelles se trouvent les patients, il est très important de savoir de quoi s’occupe chaque professionnel. De ce fait, le personnel infirmier, les services sociaux, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, les personnes offrant une assistance spirituelle et les médecins travaillent généralement sur un pied d’égalité. On peut aussi s’inspirer des centres médico-sociaux de Suisse romande, dont les équipes, contrairement à de nombreuses associations d’aide et de soins à domicile de Suisse alémanique, sont souvent multiprofessionnelles et décident de manière interprofessionnelle, au cas par cas, qui gère chaque dossier.

Idéalement, comment fonctionne l’interprofessionnalité dans le diagnostic précoce de la démence, des pathologies psychiques et des MNT ?

La plateforme Interprofessionnalité, au sein de laquelle divers professionnels de la santé collaborent, a élaboré des critères permettant de juger des projets interprofessionnels : il faut, entre autres, qu’un projet soit développé dès le départ par tous les groupes professionnels impliqués et avec la participation des personnes concernées. Dans l’idéal, p. ex., les centres de consultation, les ligues de santé, les prestataires de soins médicaux de base, les associations d’aide et de soins à domicile et les personnes concernées détermineraient ensemble comment appliquer les directives et les normes de prévention. Il s’agirait notamment de répondre aux questions suivantes : auprès de qui les personnes touchées, leurs proches ou leurs employeurs peuvent-ils chercher conseil lorsqu’ils repèrent les signes précoces d’une maladie psychique ou d’une MNT ? Dans quel cas les prestataires communiquent- ils leurs observations à d’autres personnes et à qui ? Comment assurer la protection des données ? Quand les professionnels se rencontrent-ils pour échanger ? Qui est en charge de la situation ou comment décider de cela au cas par cas ? Quelles mesures sont proposées aux personnes touchées et par qui ? Dans le meilleur des cas, les réseaux interprofessionnels fonctionneraient sans tenir compte des frontières, p. ex. entre secteur ambulatoire et stationnaire, ou entre prévention et soins de santé. 

Comment, de manière générale, l’interprofessionnalité soutient- elle la prévention dans le domaine des soins ?

Dans une équipe, les points de vue et les expertises se démultiplient quand plusieurs groupes collaborent de manière interprofessionnelle. Si l’on prend chaque facette séparément, la prévention des MNT ne fonctionne pas. Pour être efficace, elle nécessite – comme le montre la stratégie MNT – une approche globale de chaque situation personnelle. Or c’est justement ce que peut offrir une équipe interprofessionnelle.

À propos

Claudia Galli, présidente de la Fédération suisse des associations professionnelles du domaine de la santé (FSAS), dirige depuis 2012 le cursus du master européen Science in Occupational Therapy de la ZHAW. Elle a terminé sa formation d’ergothérapeute en 1991 et ses études de psychologie en 2002 à l’Université de Zurich. En tant que présidente de la FSAS, elle défend les intérêts des professions de la santé dans divers comités.

1 Organisation mondiale de la santé (2010). Framework for action on interprofessional education and collaborative practice. Genève, Suisse : OMS

2 Alliance mondiale des professions de la santé (2013). WHPA Statement on Interprofessional Collaborative Practice (2013). Ferney-Voltaire, France : AMPS

3 Colloques « Comment réussir l’interprofessionnalité », organisés par l’ASSM en 2016 avec la plateforme Interprofessionnalité et d’autres organisations du système de santé : http://www.samw.ch/fr/Projets/ Interprofessionnalite/Colloques-Interprofessionnalite. html

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